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Consternation, le 19 juin 2023, une orque percute un voilier au large des Shetland. Ce comportement était jusque-là cantonné aux côtes ouest ibériques, entre Gibraltar et La Galice. Ce premier incident dans des eaux septentrionales.
Le programme OSI-CETIS, dédié à l’écologie marine, s’est engagé depuis plusieurs années à contribuer aux suivis de cette faune sauvage, en voilier, sur plusieurs secteurs de l’arc nord-est atlantique. Une mission revient tout juste du nord de l’Ecosse. L’équipe tenait à faire le point sur le sujet hautement médiatisé avec souvent fantasme et anthropomorphisme.
Quelques hypothèses sont avancées pour expliquer le comportement des orques ibériques mais sans aucun consensus. L’évènement écossais du 19 juin ajoute une interrogation, d’autant plus que les sous-populations ibériques et britanniques sont distinctes.
- Réaction d’une femelle du groupe déclenchée suite à un incident aversif ponctuel (collision avec un navire et apprentissage de cette réaction aux individus du groupe (Notarbartolo di Sciara) ?
- Réaction aux pressions humaines affectant leur environnement – augmentation du trafic maritime, diminution des ressources alimentaires, pollutions chimiques (Esteban et al., 2016a) ?
- Tout simplement curiosité naturelle de l’orque ?
Ces hypothèses se basent sur plusieurs faits :
- La structure du cerveau des orques serait corrélée avec leurs capacités cognitives. Les fibres nerveuses auditives sont prépondérantes et les orques utiliseraient ainsi le son pour percevoir leur environnement (l’eau transmet les sons quatre fois plus vite que l’air). Cette capacité les rend également plus sensible à la pollution sonore.
Le Groupe de Travail sur les Orque Atlantique, GOAT, créé pour l’étude des comportements aversifs le long des côtes ibériques depuis 2020, recommande aux plaisanciers de couper leur moteur et certains appareils de navigation comme les sondeurs, en cas de rencontre importune avec des orques. Il est constaté un éloignement des animaux, sans percussion de la coque.
- Le sous-groupe ibérique se nourrit principalement de thon rouge. Or cette proie connait un fort déclin (Garcia-Tiscar, 2009).
Les scientifiques ont démontré que deux types d’orques croisent dans les eaux britanniques, se différenciant par leur régime alimentaire (Morin et al., 2015). Si cette spécialisation pour des niches écologiques distinctes démontre les capacités d’adaptation des orques en réponse à la diminution de la ressource halieutique, elle souligne également la compétition avec l’homme pour cette ressource.
- L’orque est un prédateur dit apex, c’est-à-dire en haut de la chaîne alimentaire. Le mécanisme de bioaccumulation d’éléments non dégradés lors de la digestion, en fait un animal particulièrement sensible aux polluants notamment chimiques comme les pesticides et dérivés industriels, PCBs.
L’autopsie d’une femelle retrouvée morte sur les côtes écossaises en 2016 a révélé un taux de PCB 100 fois dans ses chairs 100 fois supérieur au taux supposé acceptable pour ces mammifères marins. Cette femelle n’avait jamais eu de veau ; sa reproduction a certainement été affectée par des niveaux élevés de polluants. L’orque est une espèce longévive, se reproduisant lentement avec un baleineau tous les cinq ans en moyenne.
Si l’origine du comportement aversif des orques ibériques et celle du premier incident en Ecosse pourrait être multifactorielle, dans tous les cas, ces réactions questionnent sur le dépassement d’un point d’équilibre entre activités humaines et biodiversité.
- Le thon rouge de l’atlantique est une espèce très prisée sur les marchés et son exploitation a connu des excès ; malgré une règlementation drastique depuis quelques années, le stock se reconstitue difficilement.
- La richesse des eaux entourant l’archipel des Shetland a conduit à la mise en place de pêcheries très importantes, parfois abusives et irréfléchies. Les flottes hauturières industrielles françaises, espagnoles, danoises et autres pays sont basées sur ce secteur, d’où des négociations fondamentales pour ce secteur d’activité lors du Brexit et les nombreux conflits avec la flotte shetlandaise. Une côte longue et complexe, de forts courants marins, une variété des habitats et l’influence du Gulf Stream font de cet endroit une zone particulièrement riche pour les cétacés et la vie marine en général.
- 85% des échanges commerciaux au niveau mondial s’opèrent par voies maritimes. Le détroit de Gibraltar est un des secteurs intenses de trafic avec près de 100 000 navires par an.
Depuis 1975, du nord-est de l’Ecosse jusqu’au nord-est des Shetland se développe des infrastructures pétrolières et gazière. Plus de 80 réservoirs sont exploités à faible profondeur.
- La médiatisation anxiogène autour du comportement des orques ibériques devient dangereuse pour les animaux. De plus en plus de navires utilisent des explosifs pour « effrayer » les animaux, générant ainsi des lésions léthales de l’appareil auditif de l’orque
Paradoxe de l’histoire, le jour de l’incident entre une orque et un voilier au large des côtes shetlandaises, la Norvège annonce l’ouverture de l’exploitation minière des fonds marins en 2024. Cette exploitation des ressources minérales sous-marine est attendue depuis quelques années dans les secteurs arctique et nord pacifique pour faire face à l’épuisement des ressources terrestres. Mais la coïncidence, certainement invisible aux yeux de tous, a un goût amer. En janvier l’Islande a annoncé la fin de son exploitation baleinière alors que la Norvège poursuit cette chasse au motif que la viande de baleine est un mets prisé des Norvégiens. Une étude a pourtant révélé que la proportion de Norvégiens qui consommaient fréquemment de la viande de baleine n’était que de 4 % en 2019, contre 2 % en 2021. Malgré les critiques, les responsables du gouvernement norvégien estiment que la chasse à la baleine est tout à fait « normale ».
Si l’orque est une espèce cosmopolite, plusieurs populations ont été classée en danger critique d’extinction par la Liste rouge de l’UICN : Canada – côtes ouest et Est, Espagne (Esteban et Foote 2019), Ecosse (Ryan et al.).